L'appel du froid
Gare au frisson thermique (et au gorille)
Il paraît que le froid conserve. Parole d’Inuit.
Il apparaît que bien vieillir est un job à plein temps. Parole d’Alain.
Elle disparaît quand on la trempe dans l’eau froide. Parole d’homme pas forcément phallocentré.
15 février, 17h, - 9°C. Fin fond d’une vallée située à 1800 mètres d’altitude au nord d’Aoste en Italie. Première impression : fait froid. En face du hameau et alentours, quelques sommets à 4000, bleu, argenté ou blanc selon la lumière. 35 participants se dévisagent, premiers salamalecs d’usage. J’apprendrai un peu plus tard que 22 d’entre nous sont des habitués, des fidèles, des convaincus et surtout qu’ils sont entraînés depuis de nombreuses années aux conditions extrêmes. Chacun paye sa participation au stage et son hébergement all inclusive. Durée huit jours. Rendez-vous demain matin à 6h45 dans le hall de l’hôtel. Bonne nuit à tous. Ainsi parla le grand maître, Maurice.
6h45 donc, après quelques interrogations nocturnes. Température extérieure moins 11°C. Froid sibérien ressenti. Suis transi. Mes origines méditerranéennes et mon profil de neuro-arthritique me font préférer le chaud. Suis habillé en mode hivernal. Nous avons 3 minutes à parcourir dans une légère obscurité pour rejoindre le site. Il s’agit d’une pente enneigée et verglacée. Chacun doit aplanir un espace de la largeur de son fessier. Autrement dit, aménager une assise confortable et y déposer un tissu.
6h55, Maurice, maître des lieux, nous informe qu’il est temps de nous déshabiller. Les 22 récidivistes, ayant anticipé, sont déjà en maillot de bain. Moule boules pour les hommes, deux pièces pour les dames. À première vue, pas de trans-genre. À ma gauche, une jeune femme enceinte de six mois. À ma droite, un papa et son fiston de 12 ans.
7h, chacun s’assoit en tailleur sur son tissu posé à cet usage. Fait juste - 11°C et nous sommes assis en maillot de bain à 7 heures du mat. j’ai des frissons, je claque des dents et je monte le son… Le trou de balle est dans une forme de léthargie pre-mortem.
À présent, dit Maurice, apprenons à respirer. Je me demande si le yoga toumo est une pratique adaptée au rétracté que je suis. Les dilatés semblent mieux équipés pour lutter contre le froid ambiant. Mes doigts les moins engourdis jouent alternativement avec chacune de mes narines. J’inspire de la droite, j’expire de la gauche puis j’inverse. Toumo ou l’épreuve du froid chez les Tibétains. La respiration du feu. Mes sens sont en alerte rouge, comprenant bien que ma survie dépend d’un apprentissage instantané. Car nous devons rester ainsi immobiles une heure. Oui une heure presque à loilpé par moins 11 degrés Celciuuuuus. Juste respirer avec le ventre. Conseil de Maurice : pour intégrer ce que respiration profonde diaphragmatique signifie, déclenchez un rire, et cela vous réchauffera. Il ne se foutrait pas un peu de ma tronche pépère, avec tout le respect que je lui dois (d’honneur) ?
7h30. Entre deux 4000 loin à l’horizon pointe le premier rayon de soleil qui vient caresser ma peau rougie par les morsures du froid. Oh putain que c’est bon ! Quel bonheur ce rayon de soleil qui me renvoie aux origines de notre humanité, lorsque nous vivions nus comme des vers, certes beaucoup plus velus, mais quand même !
8h. Maurice nous invite à nous rhabiller. Vous le croirez ou pas mais je suis le premier à entrer dans l’hôtel… direction le buffet salé-sucré car interdiction absolue de prendre une douche chaude, l’objectif étant de garder le froid en nous : cela facilitera l’épreuve N°2. D’ailleurs rendez-vous dans le hall à 11 heures, en tenue, s’il vous plaît. Les 13 primo petit-déjeunent dans un silence quasi monacal, les 22 experts s’envoient des vannes, rigolent, discutent, chantent, comme si de rien n’était. On vient quand même de rester assis sans bouger pendant une heure en maillot de bain par moins 11 degrés celsius. Un peu de compassion, ça vous arracherait la gueule ?
11h. Nous sommes tous prêts pour une randonnée d’une heure. En maillot de bain ; les chaussures sont admises pour celles et ceux qui, comme moi, auraient encore quelques peurs enfouies ou réticences avouées ; lunettes de soleil, bonnets, gants, écharpes sont bannis. Le thermomètre affiche moins 8°C. Ça se réchauffe !
Au bout de 20 minutes de marche, clac clac clac font mes dents. Discrétos, je glisse à l’oreille de Maurice : Maumauririce, gégégé froid. Il fait se rassembler le groupe : Christian a froid, que lui conseillez-vous de faire ? Et là je vois les 22 fayots se coucher dans la neige, rouler, bouler, rire, s’enneiger jusqu’aux épaules bien recouvertes c’est important tu comprends Christian au-dessus des épaules tu as des centres énergétiques très puissants et puis surtout tu comprends bien que la neige étant à zéro degrés, tu passes de moins 8 à 0, donc tu vas vers le chaud. Mathématique n’est pas forcément humain. Il est vrai que enseveli de poudreuse, je me sens anesthésié : La joie remplace la douleur, l’euphorie gomme mes souffrances, l’exaltation anéantit mes peurs initiales. Je me sens en communion, en paix, en vie. Je me sens moi, à ma place. Mon corps est délivré de l’attraction terrestre. Je vole.
Midi. Retour à l’hôtel dans une grande salle qui fait par ailleurs office de bibliothèque. Toujours en maillot de bain. Maurice, en maître de cérémonie, prévient :
1/ Si tu penses t’es mort.
2/ Un pas chasse l’autre.
Bis, ter, quatro, cinque repetita. Leitmotiv. Si tu penses t’es mort. Un pas chasse l’autre. Si tu penses t’es mort. Un pas chasse l’autre. Euh… c’est quoi le projet ? La baie vitrée s’ouvre et je comprends : nous devons approcher d’un bassin sur un chemin transparent de glace. Un pas chasse l’autre pour éviter à la peau des plantes de pieds de rester collée au sol. 36 corps refroidis à la queuleuleu. L’eau-glace est à son degré zéro. Pieds, chevilles, si tu penses t’es mort, mollets, genoux, un pas chasse l’autre, cuisses, entre jambes. Là je marque le pas. Désolé. Mon maillot ne moule plus rien. Tout est rentré. Comme une morsure. Si tu penses t’es mort, bas-ventre, nombril, estomac, un pas chasse l’autre, tétons : vont-ils résister ou au contraire tomber comme deux framboises trop mûres ? Si tu penses t’es mort, avant-bras, bras, épaules, sans Maurice et sans les autres, je n’y serai jamais arrivé. La force du groupe. Le premier jour, j’ai tenu deux minutes. Une première minute de saisissement. La ou les minutes suivantes, c’est l’exaltation. Gare au frisson thermique. Sortie de l’eau. Point de serviette. Au point où on en est ! Faut laisser faire l’air frais, le vent, le temps. Maurice nous engage à courir, remuer ce qu’il reste de remuable, sauter, bouger. Une fois séché(e) naturellement, on rentre. Surtout pas de douche chaude. Bien se couvrir. Et boire du tiède-chaud, avant, pendant et après la table. Tellement bon de sentir la sérénité couler dans nos veines et envahir chacune de nos cellules. Heureux certes de l’avoir fait mais ce n’est pas ça l’important : pour la première fois de ma vie, le froid n’est plus une menace existentielle pour moi. Je fais un parallèle évident avec le jeûne hydrique sans sucre ajouté. L’après-midi, après ces trois épreuves, quartier libre.
Huit jours sur ce même tempo. Par deux matins, le thermomètre a affiché moins 14°C. Trois matinées, nous eûmes droit à des bourrasques de givre qui nous fouettaient le corps sans atteindre pour autant notre mental d’acier. Le dernier jour, trois bains pour moi ; je me suis même payé le luxe de laisser tremper mes pieds vingt minutes dans une eau faite de glaçons géants, pieds qui avaient gelé au ski, quand j’étais enfant, et qui avaient été sauvés de l’amputation grâce à un médecin qui m’avait alors remis les pieds… dans la neige. C’était en 1972, j’avais dix ans. Comme quoi, la mémoire est cellulaire !
Durant ces quinze dernières années d’encadrement des séjours Jeûne Vitalité, quel plaisir de voir jeûneurs et jeûneuses nager dans les cascades de Bayons. Combien de fois ai-je entendu “Christian, je me sens VIVANT” ! Comment raconter la joie de Béatrice et de son Béber enduit d’argile noire de la tête aux pieds en se frottant ensuite mutuellement pour effacer toutes traces de boue. Et Louise, alors qu’il fait moins 13 degrés celsius, qui a bravé de ses pieds nus la neige glacée pour rentrer délicatement dans les piscines naturelles de Reynier ? Un groupe, une ambiance, un souvenir, un rire, une joie ; l’eau qui éclabousse, l’eau qui jaillit, l’eau qui purifie. Christophe, resté quinze jours en 2015 pour sa première expérience de jeûne, qui garde au fond de son cœur le souvenir prégnant d’une VIVANCE torrentielle recouvrée. Marie. David. Thierry et sa sœur Corinne. Et tant d’autres !
L’appel du froid, l’appel du jeûne, l’appel du sport ou de l’activité physique, l’appel du large, l’appel des cîmes, l’appel du roadtrip, l’appel de la maternité, en toutes occasions, écoute ton cœur, éprouve ton corps, et vas ! Do it ! Fais-le. S’éprouver soi-même. Et cheminer.
Une pensée pour feu Michel GUERRY, médecin obstétricien, qui a passé sa vie à convaincre ses apprenants, que nous existons parce que nous éprouvons. Cogito sum est. Je suis parce que j’éprouve. Merci Maurice et Michel de vos enseignements reçus 5/5 : l’épreuve du corps. Le jeûne hydrique, le froid, le sport, le rire, le voyage, peu importe le sujet, que chacun trouve la sérénité dans les activités qui conviennent à son corps, que la vitalité imprègne chacune de nos cellules. Oui, restons vivants ! Ne laissons pas la maladie accélérer un processus déjà bien assez naturel…